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La participation des citoyens, qu’on la qualifie de sociale ou de politique, a fait l’objet de nombreuses analyses qui se sont concentrées sur son caractère politique (Rosanvallon, 2008), sur le renouvellement de ses structures démocratiques (Blondiaux, 2008), sur ses dispositifs (Fishkin, 2007 ; Fung, 2004), mais aussi sur ses transformations (Berger, 2009). Ce phénomène a davantage été réfléchi sous l’angle institutionnel des rapports de pouvoir entre la société civile, les gouvernements et les sphères marchandes. Elle a peu été étudiée dans la perspective des individus, de leurs relations sociales, leurs réseaux, leurs milieux de vie qui évoluent avec l’âge. Il est essentiel, selon nous, de considérer ce rapport social, puisque l’âge n’est pas qu’un attribut individuel. Dans cet article, nous adoptons cette posture afin d’analyser la participation comme pratique quotidienne que l’on mesure en fonction du temps que les citoyens consacrent au bénévolat, à l’action militante, politique ou délibérative au sein d’organisations ainsi qu’à la participation informelle comme l’entraide au sein de leurs réseaux personnels[1].

Comme toute pratique quotidienne, la participation s’établit à l’intérieur de rapports de pouvoir et d’inégalités. Ces activités s’inscrivent d’emblée dans une organisation où domine le travail salarié et où le temps discrétionnaire varie selon les milieux de vie, la flexibilité des emplois et les rapports sociaux de sexe (Turcotte et Gaudet, 2013 ; Lesnard, 2009 ; Hochschild, 2003). La participation sociale peut également dépendre des capacités et des ressources inégales que possèdent les individus (Canada, 2012). Les analyses critiques de ces rapports sociaux s’appuient sur différentes interprétations normatives de la notion d’égalité. Jean-Louis Genard (2012) en analyse sept couramment utilisées en sociologie, identifiant d’emblée celles qui reposent sur le référentiel anthropologique de la modernité — le sujet autonome, libre et rationnel — qui porte sur l’égalité des ressources, des traitements et des opportunités. T. H. Marshall (1965) a été l’un des premiers à analyser les inégalités et la citoyenneté en démontrant comment les droits politiques et civiques étaient le propre de certaines classes. Nous concentrons ici notre analyse sur les ressources et les opportunités inégales qui structurent une forme d’exclusion des pratiques de participation sociale selon les âges de la vie.

Cette posture de recherche présuppose implicitement que le contexte social a davantage d’influences sur la participation des citoyens que d’autres facteurs tels que la motivation ou l’intérêt personnel. Sans rejeter complètement cette explication rationaliste de l’action humaine, notre démarche prend une tangente différente, puisqu’elle explore davantage les caractéristiques des contextes sociaux. La plupart des études sur le bénévolat démontrent que le facteur le plus influent sur la participation demeure la sollicitation par un pair (Musick et Wilson, 2008, Statistique Canada, 2012). Un élément ayant davantage d’incidences sur ce type de pratique que la motivation personnelle ou les « raisons d’agir ». Or, les chances d’être sollicité dépendent certes de caractéristiques personnelles, telles que la personnalité, mais de façon plus importante, elles dépendent des organisations, des réseaux sociaux et des milieux de vie qui proposent des opportunités de participation.

L’originalité de cette recherche porte notamment sur l’analyse des contextes sociaux, lieux de rapports et d’opportunités inégalitaires. L’étude de ces conditions devient incontournable dans la conjoncture actuelle où les administrateurs publics (Pelchat, 2010) comme certains intellectuels (Blondiaux, 2008 ; Fishkin, 2009 ; Fung, 2004) en appellent à davantage de participation des citoyens. Comprendre les pratiques de la participation sociale et les facteurs qui l’influencent permet également de mieux saisir le phénomène de l’inclusion et de la solidarité sociale. Les relations entre la participation, le bien-être, le sentiment d’appartenance et le capital social ont été démontrées à maintes reprises (Price, 2002 ; Rajulton, Ravanera et Beaujot, 2007).

Puisque la participation sociale est associée à une forme d’inclusion et de solidarité sociale, il est important de comprendre les potentiels facteurs d’exclusion de la participation sociale. Existerait-il des surreprésentations de certains groupes selon le sexe, l’âge ou la position socioéconomique qui témoigneraient d’accès inégalitaire à la participation au Canada ? Nous aborderons ce questionnement à travers le paradigme des parcours de vie afin d’appréhender les effets du temps sur les pratiques de participation sociale. Nous tenterons ainsi de répondre à cette question de recherche : comment se structure l’accès de certains individus à la participation sociale selon les âges de la vie ?

Pour y répondre, nous analyserons deux bases de données. D’abord, nous ferons une analyse descriptive du temps consacré à la participation sociale formelle et informelle à l’aide des ESG sur l’emploi du temps de 1992, 1998, 2005 et 2010. Ces banques permettent de comprendre les tendances historiques de la participation selon les âges de la vie. Dans un deuxième temps, nous avons fait une analyse de régression multiple à partir des données de l’ESG 2008, cycle 22, qui comporte une série de questions sur les réseaux sociaux. Cette dernière nous permet d’analyser de façon plus complète les différents facteurs corrélés à l’exclusion de la participation selon les âges de vie. Nous nous inspirons du paradigme du parcours de vie pour interpréter nos résultats. Il nous est impossible de faire une analyse dynamique de la participation sociale selon les parcours de vie, car aucune enquête canadienne longitudinale ne donne cette information à ce sujet. Précédant l’analyse de ces données, nous présentons notre définition de la participation sociale comme pratique de don et la pertinence de l’analyser selon le paradigme du parcours de vie.

La participation sociale comme pratique de don

Nous définissons la participation sociale par le temps consacré librement et gratuitement à une organisation ou à des personnes à l’extérieur de la sphère domestique. Cette perspective s’inspire de la théorie du don dans les sociétés modernes de Jacques T. Godbout (2007). Cette définition se pose en réaction à l’idéologie utilitariste des sociétés contemporaines dominées par le système économique libéral d’échanges marchands. Cette position critique postule la nécessité de comprendre d’autres formes de logiques d’action que celle de l’intérêt. Nommons entre autres celles, plus symboliques, des affects, de la construction identitaire et du sens des relations au nom desquelles le don circule dans le contexte démocratique (Chanial, 2001).

Cette posture théorique nous amène à observer la participation sociale à travers des pratiques sociales concrètes d’échange de temps gratuit. Dans leurs réseaux personnels, les individus s’échangent des services. Ils aident leurs voisins à entretenir la maison ou à garder les enfants. Bien que leur aide soit gratuite, elle s’inscrit dans des rapports de réciprocité où s’installent attentes et obligations. De la même façon, les individus consacrent du temps à une organisation publique pour redonner à la société ou pour retourner ce qu’ils ont déjà reçu de bénévoles. Le don n’est jamais pur, s’y mêlent intérêts, calculs, recherche de pouvoir. Il doit cependant être considéré pour comprendre la complexité normative (affects, attentes, obligations) des relations sociales à travers lesquelles il circule.

Analyser la participation sociale par l’observation du temps qui circule gratuitement nous permet d’observer diverses formes d’engagements sociaux et politiques en focalisant notre étude sur les pratiques sociales de don plutôt que sur les discours. Elle est d’autant plus pertinente dans le contexte actuel où le temps familial consacré au travail rémunéré a monté en flèche au Canada depuis les vingt dernières années (Beaujot, 2000). Ce qui implique que les hommes et les femmes redéfinissent leur emploi du temps réservé au travail non rémunéré et aux soins et changent fondamentalement leur mode de vie.

Des effets structuraux contraignent ainsi nos vies quotidiennes et donner du temps revêt souvent un caractère « réfléchi ». Le temps étant une ressource limitée, les gens qui se consacrent à la participation sociale formelle diminuent leur temps de loisir, de sociabilité ou de sommeil (Marucchi-Foino, 2007). Dans le contexte actuel des sociétés singularistes où notre appartenance à différents cercles sociaux permet davantage de liens électifs, le choix de consacrer du temps à différentes organisations devient éminemment moderne : c’est-à-dire librement choisi même s’il engage à des rapports de réciprocité et d’obligations mutuelles et d’identité (Fortin et coll. 2007).

Le temps consacré librement et gratuitement à des connaissances, des voisins, des amis, des membres de la famille éloignée répondent à ces mêmes caractéristiques de réciprocité et d’engagement mutuel, même s’il s’inscrit davantage dans une posture d’éthique de la sollicitude. Cette forme de participation est ignorée des analyses qui portent davantage attention aux pratiques de participation ayant un degré élevé de publicité. Pourtant, le temps qui circule dans les espaces du familier et du confort représente des modes de participation sociale fondamentaux pour l’organisation sociale. Dans le cadre du projet de recherche plus large dans lequel s’inscrit cette analyse, nous étudions les deux types de participation et nos enquêtes qualitatives dévoilent plusieurs interstices et passages entre les deux modes de participation, passant d’un mode personnel à un mode politique en fonction des événements et des périodes de vie.

L’articulation de la participation sociale aux parcours de vie

Rares sont les spécialistes des parcours de vie qui reconnaissent et s’intéressent à la trajectoire de citoyenneté (Lalive d’Épinay, 2005). La plupart des recherches qui portent sur la participation sociale dans une approche temporelle s’intéressent à deux groupes populationnels : les jeunes et les retraités. La participation sociale est notamment un objet d’étude important en gérontologie. On y traite largement des effets de la participation sur la santé (Bath et Deeg, 2005), des caractéristiques des personnes âgées qui participent (Morrow-Howell, 2010 ; Tang, 2008) ; de l’importance de la transmission intergénérationnelle (Bekkers, 2007 ; Selvin, 2005) ; et de la contribution sociale, politique et économique des personnes bénévoles à la retraite (Okun et Michel, 2006).

Diverses enquêtes sur l’engagement, le bénévolat, la participation associative et politique montrent qu’un processus temporel influence les pratiques de participation quotidienne. Les analyses sur les emplois du temps selon les rapports sociaux de sexe montrent que la configuration du temps consacré au bénévolat ou la participation sociale et politique varie entre les hommes et les femmes selon les âges (Sayer, 2005 ; Hook, 2004). Les enquêtes sur le bénévolat montrent comment l’âge (Wilson, 2000 ; Rotolo et Wilson, 2004, 2006 ; Tang, 2006), mais surtout les rôles sociaux associés aux âges biologiques comme celui de parent (Gaudet et Reed, 2004 ; Willigen, 2000) influencent les pratiques de bénévolat. Aucune recherche ne porte sur la participation sociale formelle et informelle telle que nous l’entendons. Celles qui portent sur la population canadienne sont encore plus rares. Certains rapports de grandes enquêtes décrivent les pratiques de don, de bénévolat et de participations (Statistique Canada, 2012), mais ils ne s’intéressent pas nécessairement aux processus temporels ni à l’influence des contextes sociaux sur les pratiques individuelles. La seule recherche qui se rapproche de la nôtre est celle de Rossi (2001) et porte sur la population états-unienne.

Selon Musick et Wilson (2008), le bénévolat est fortement influencé par quatre types de déterminants : les ressources, le contexte social, les valeurs, et le parcours de vie. C’est précisément cette dernière influence que nous tentons d’observer en relation avec les ressources et le contexte social des personnes qui participent tant formellement qu’informellement dans leurs réseaux. Les analyses dynamiques de parcours de vie sont rares, car elles exigent des données longitudinales. Ces données sont assez récentes, mais l’analyse de parcours de vie existe depuis plusieurs années ; elle s’intéresse notamment aux effets des âges, des cohortes et des générations. White Riley (1987 : 1) insiste notamment sur l’importance de comprendre les effets des âges et des périodes pour analyser le changement social : « There is a continuing interplay between aging and social change, with each one influencing the other. Neither can be fully understood without the other. » Des chercheurs ont ainsi développé des analyses de données transversales ou de données qualitatives qui s’inscrivent dans un paradigme explicatif de parcours de vie, c’est ce que nous proposons dans cet article.

Le paradigme du parcours de vie

Analyser la participation sociale en fonction des parcours de vie comporte certaines difficultés, la première étant de tirer au clair la sémantique lexicale du terme. La locution parcours de vie est plurivoque, elle désigne : 1) un paradigme, 2) une institution et 3) une biographie individuelle qui se déroule dans le temps (Lalive D’épinay et coll., 2005). Dans la perspective sociologique, l’analyse des parcours de vie tente d’expliquer l’individu au carrefour de l’histoire sociale et de sa réalité subjective (Gaudet, 2013). L’unité de base des analyses est le temps et plus particulièrement l’articulation des différentes temporalités (Charbonneau, 2005) : les temps biologiques et subjectifs, les temps sociaux qui régissent nos emplois du temps, les temps qui s’inscrivent à travers le changement des institutions sociopolitiques et économiques des sociétés dans lesquelles nous évoluons. Dans notre analyse, nous traitons du temps biologique et des temps sociaux, mais aussi du temps comme monnaie d’échange qui subit les contraintes du temps social et qui s’inscrit dans le récit subjectif des individus.

Les analyses qui s’inscrivent dans ce paradigme tiennent toutes compte à différents degrés de cinq principes heuristiques : celui de l’enchâssement historique et géographique des vies individuelles ; du développement psychosocial tout au cours de la vie ; de la périodisation des vies humaines ; de l’autonomie des sujets ou agency ; et finalement du principe selon lequel les vies sont liées entre elles, c’est-à-dire qu’elles évoluent en réseau (Elder, Johnson et Crosnoe, 2005). Notre analyse de la participation sociale s’inscrit dans ce paradigme scientifique, car nous tentons d’analyser nos données, bien que statiques, selon cette perspective.

La deuxième signification du terme parcours de vie réfère à différentes formes d’institutionnalisation des âges de la vie. D’abord, il y a des scripts sociaux qui suggèrent des façons d’être et de faire en fonction de l’âge biologique. L’âge, comme construction sociobiologique, devient ainsi un élément structurant de l’organisation sociale. L’État moderne en imposant par exemple des âges pour l’éducation obligatoire, le travail et la retraite participe à l’institutionnalisation du parcours de vie, c’est-à-dire à la construction d’un ensemble de règles ou de normes — un script — qui organisent la vie sous forme d’injonctions morales ou légales (Buchmann, 1989). Kohli (1985) est l’un des premiers sociologues à avoir expliqué comment la modernisation des sociétés par le rôle accru de l’État et de ses politiques sociales, mais surtout par l’organisation du travail rémunéré, institutionnalise un parcours de vie séquentiel : éducation, travail, retraite.

Cette institutionnalisation des âges de la vie influence la participation sociale, puisque l’appartenance aux organisations qui ponctuent notre vie : les écoles, les milieux de travail et de loisirs pour jeunes, adultes ou aînés, charpentent en quelque sorte les possibilités de participation[2]. Ces organisations représentent des catalyseurs de participation sociale, puisque les gens qui y oeuvrent incitent souvent les individus qu’ils rencontrent à y participer. Il n’est donc pas étonnant de savoir que dans les pays nord-américains comme le Canada et les États-Unis, le fait d’être parent est un élément déclencheur de la participation sociale (Gaudet et Reed, 2004 ; Musick et Wilson, 2008). En fréquentant des écoles et des organisations de loisirs, ils sont susceptibles d’être sollicités.

Nous avons présenté les deux désignations de la notion de parcours de vie : le paradigme et l’institution sociale. Nous terminons par celle qui identifie les parcours biographiques, c’est-à-dire le déroulement des différentes trajectoires familiales, professionnelles, résidentielles, conjugales, pour ne nommer que celles-ci. Ces trajectoires sont évidemment interreliées, mais elles ont souvent leur temporalité spécifique. Les individus structurent le récit de leur temporalité subjective à partir de ces temps sociaux ponctués de différents événements, transitions et virages. Dans ce texte, les données ne nous permettent pas d’analyser les effets des différents événements ou des différentes transitions sur la trajectoire de participation sociale. Nous le faisons dans un autre volet de notre projet de recherche.

Méthodes et résultats

Afin de mesurer la participation sociale, nous avons sollicité différents cycles de l’Enquête sociale générale (ESG) de Statistique Canada. L’ESG recueille des données transversales sur les tendances sociales afin d’examiner l’évolution de la société canadienne. En plus de recueillir des données générales sur la population âgée de plus de 15 ans dans dix provinces canadiennes, des thèmes particuliers sont étudiés. Nous avons analysé deux enquêtes thématiques. Nous avons d’abord poursuivi nos études descriptives des tendances de pratiques de participation sociale en fonction des âges et des cohortes en comparant les cinq cycles des ESG sur l’emploi du temps (Gaudet, 2011). Nous avons également fait une analyse de régression des données de l’ESG de 2008 qui fournit des informations plus détaillées sur les réseaux sociaux, le sentiment d’appartenance et l’engagement social et politique.

Enquête sociale générale 1992, 1998, 2005, 2008, 2010

Enquête sociale générale 1992, 1998, 2005, 2008, 2010
Source : Statistique Canada, ESG, 1992, 1998, 2005, 2008, 2010

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Dans le cadre de l’ESG sur l’emploi du temps, on demande aux répondants d’énumérer toutes leurs activités lors de la journée de référence, en débutant par le matin (la journée de référence étant celle ayant précédé l’entrevue). À partir de la liste de toutes leurs occupations quotidiennes, nous avons créé deux variables correspondant aux distinctions théoriques faites entre la participation formelle — au sein d’une organisation, donc le bénévolat, le militantisme, le temps consacré à la délibération, les conseils d’administration — et la participation informelle — l’entraide au sein des réseaux primaires et secondaires, mais en dehors des activités domestiques. Les taux de participation sociale formelle et informelle correspondent à la proportion des répondants qui ont consacré au moins une minute, lors de leur journée de référence, à des activités bénévoles ou d’entraide. Cette méthode permet d’analyser les tendances des pratiques de participation sociale en fonction des âges et des cohortes sur une période de 18 ans, elle ne permet pas d’établir des relations de causalité entre les taux et les différentes variables étudiées.

Les données de l’ESG 2008 utilisées pour examiner les facteurs d’exclusion et d’inclusion à la participation sociale sont issues de questions directes. Les répondants ont été questionnés sur leur contribution bénévole à un organisme au cours des 12 derniers mois. Parce que la question est très large et entraîne une certaine désirabilité sociale, il en résulte un nombre élevé de participations (environ 41 %). Elle inclut des personnes qui ont fait du bénévolat qu’une seule fois au cours de l’année. Certains répondants peuvent aussi avoir répondu positivement par désir de bien paraître dans le cadre de l’entrevue. Afin de limiter ces biais, seuls les bénévoles réguliers ont été comptabilisés, c’est-à-dire les personnes qui répondaient avoir fait en moyenne environ 5 heures ou plus de bénévolat par mois[3].

Afin de mesurer la participation sociale informelle, nous avons également fait appel à des questions directes de l’ESG de 2008. Nous avons utilisé les réponses aux questions suivantes : 1) au cours de la semaine précédente, le répondant s’était-il occupé d’enfants ne vivant pas dans son ménage ? 2) avait-il aidé des personnes à l’extérieur de son ménage pour des travaux ménagers ou extérieurs, ou à l’entretien d’une maison sans rémunération ? 3) avait-il offert des soins ou de l’aide à une ou plusieurs personnes âgées à l’extérieur de leur ménage, sans rémunération ? Les personnes qui ont dit avoir consacré au moins une heure étaient considérées comme participantes. Elles ont également été questionnées sur l’aide donnée à une voisine au cours du dernier mois.

Les résultats des modèles de régression logistique (annexes 2 et 3) sont présentés sous forme d’effets marginaux. Ils indiquent l’augmentation ou la diminution de la probabilité d’être un bénévole régulier pour une personne possédant une caractéristique donnée, lorsque tous les autres facteurs sont maintenus à leur valeur moyenne. Dans le cas de variables continues comme l’âge, l’effet marginal représente le changement dans la probabilité d’être un bénévole régulier entre la valeur minimale (25 ans) et la valeur maximale (74 ans), toutes les autres variables étant maintenues constantes. Afin de mieux saisir dans quelle mesure l’ajout de variables contrôles influence les relations initiales, nous avons présenté dans la première colonne les effets marginaux lorsqu’aucun autre facteur n’était pris en compte[4].

Participer au Canada selon les temps sociaux et individuels

Au cours d’une période qui s’échelonne approximativement sur vingt ans (1992-2010), nous constatons une baisse significative des taux moyens de la participation sociale formelle et informelle des Canadiens âgés entre 15 et 74 ans (Tableau 1). En 2010, 6,6 % de la population avait consacré du temps à une organisation et 7 % l’avaient fait pour un membre de son réseau. Il s’agit d’une baisse de 3 points de pourcentage pour la participation formelle et de seulement 1,6 point pour la participation informelle. L’entraide qui circule au sein des réseaux mesurée par le taux de participation informelle demeure plutôt stable sur une période de vingt ans sauf chez les plus jeunes, les 15 à 34 ans, chez qui elle baisse significativement.

La baisse de la participation formelle se décline tout autrement. Depuis 1992, on observe un déclin constant des cohortes de jeunes âgés de 15 à 24 ans et de celles âgées de 55 à 64 ans. Il y a une chute d’environ cinq points de pourcentage en 18 ans entre les cohortes de ces deux groupes d’âge. La forte participation en emploi de la cohorte âgée entre 55 et 64 ans, notamment celle des femmes, pourrait expliquer une baisse de la disponibilité pour des activités de participation sociale. Nous savons que le taux d’emploi des personnes de 55 ans et plus s’est accru principalement chez les femmes entre 1997 et 2010. Carrière et Galarneau (2011) calculent qu’il est passé de 30,5 % à 39,4 % chez les hommes et de 15,8 % à 28,6 % chez les femmes. Cette hausse représente un changement important dans les emplois du temps et les pratiques quotidiennes des personnes de ce groupe d’âge.

Tableau 1

Participation sociale, 1992, 1998, 2005 et 2010

Participation sociale, 1992, 1998, 2005 et 2010

^ Différence statistiquement significative par rapport à 2010 au seuil de p < 0,05

* Différence statistiquement significative par rapport au groupe des 15 à 24 ans au seuil de p < 0,05

Source : Statistique Canada, Enquête sociale générale sur l’emploi du temps, 1992, 1998, 2005 et 2010

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Les tendances sur une période de 18 ans montrent une baisse constante de la participation sociale formelle, mais notons tout de même une légère hausse de 1,3 point de pourcentage entre 2005 et 2010. Cette hausse s’explique par une augmentation significative de la participation des plus vieux (65 à 74 ans) et des Canadiens susceptibles d’avoir des enfants d’âge scolaire (35 à 44 ans).

Participer aux différents âges de la vie

Les occasions et les raisons de participer au sein de la société varient au cours de la vie : les ressources personnelles et sociales évoluent, les intérêts et besoins fluctuent, les attentes (scripts sociaux) changent en fonction des âges ; les membres des réseaux sociaux susceptibles de solliciter de l’aide et de la participation bénévole évoluent également avec le temps. L’âge demeure un facteur d’influence important sur la participation sociale.

En effet, la participation évolue de façon constante tout au cours de la vie. Les ESG sur l’emploi du temps montrent qu’elle triple entre le groupe des 15 à 24 ans et celui des 65 à 74 ans ; alors que le taux de participation informelle double entre le groupe d’âge des 15 à 24 ans et celui des 55 à 64 ans. Ces tendances sont présentes pour chaque cohorte sur une période de 18 ans (Tableau 1). Quand on mesure les taux avec les résultats de l’ESG 2008, on remarque la même relation entre âge et participation sociale : le taux de participation est de 18 % chez les 25 à 34 ans alors qu’il est de 25 % chez les 65 à 74 ans[5]. Cette relation positive entre les périodes de vie et la participation demeure significative et pratiquement inchangée lorsque de nombreux facteurs supplémentaires, tels le niveau de scolarisation et l’étendue des réseaux sociaux, sont pris en compte (voir annexes 2 et 3).

Les études sur la circulation du don dans la famille et plus largement dans la société contemporaine confirment cette tendance. Les échanges d’aide, de services et d’hospitalité s’accroissent lorsque l’on vieillit, puisque le désir de redonner à son tour demeure une des règles du lien social non marchand (Godbout, Charbonneau et Lemieux, 1996). D’autres enquêtes canadiennes montrent que la participation à des activités bénévoles croît aussi avec le vieillissement (Statistique Canada, 2012). Cette tendance évolutive à travers la vie peut également s’expliquer par un désir d’inclusion sociale et de bien-être, puisque le fait de s’inscrire dans une communauté et d’y faire du bénévolat est associé à une meilleure santé et qualité de vie chez les aînés (Yunquing et Ferraro, 2006).

En bref, plus les Canadiens vieillissent plus ils consacrent du temps à la participation formelle et informelle. Leur participation n’est toutefois pas constante en fonction du vieillissement. Ainsi, on peut penser que ce n’est pas tant l’âge biologique qui facilite ou non la participation sociale, mais bien les rôles sociaux « normalement » associés à certains âges de la vie. Par exemple, le fait d’être parent d’enfant d’âge scolaire a un impact positif sur la participation sociale, peu importe l’âge. Cette distinction entre âge biologique et rôle social est rarement faite dans les enquêtes sur la participation sociale.

Les facteurs associés à la participation au fil de la vie

Les pratiques de participation sociale sont reliées aux âges de la vie, mais il est difficile de comprendre les effets de l’âge puisqu’ils sont associés aux rôles sociaux, au genre, aux milieux et aux caractéristiques sociodémographiques. Bien que l’âge soit important à considérer, il ne semble pas être le facteur explicatif le plus important de la participation (annexes 2 et 3). Dans la prochaine section, nous explorons plus en détail les données de l’ESG 2008 pour identifier les facteurs qui sont associés à la participation sociale des Canadiens. Nous présentons dans l’annexe 1 les statistiques descriptives des facteurs d’influence identifiés à partir de la documentation scientifique. Nos modèles permettent de déterminer les degrés de corrélations entre les différents facteurs et pratiques de participation sociale formelle et informelle.

Les parcours de vie sont fortement influencés par le genre, puisque les trajectoires parentales et professionnelles des femmes demeurent très différentes de celles des hommes et tendent à structurer l’ensemble du parcours de vie. Le genre a traditionnellement été un facteur qui influençait fortement la participation sociale au Canada, notamment la participation informelle. Même la participation formelle était traditionnellement plus investie par les femmes que les hommes. Selon Reed et Selbee (2000), environ 30 % des femmes avaient fait du bénévolat en 1987, comparativement à 24 % des hommes. Les données sur l’emploi du temps montrent toutefois que la disparité entre les hommes et les femmes s’est amenuisée depuis 1992, si bien qu’en 2010, les taux de participation sociale formelle des hommes et des femmes étaient identiques. Ce constat est corroboré par l’analyse des taux de bénévolat de l’ESG de 2008 (voir annexe 1). L’augmentation de la participation des femmes au marché de l’emploi et l’amélioration du partage des tâches domestiques entre les hommes et les femmes peuvent expliquer ce changement.

Rôles et milieux sociaux

Dans un parcours de vie, la naissance des enfants représente un virage, c’est-à-dire un point de jonction qui entraîne plusieurs transitions en un court laps de temps dans différentes trajectoires résidentielles, familiales, professionnelles et conjugales. Ce virage amène également des changements dans les priorités, les valeurs, les réseaux sociaux et les ressources, lesquels sont différents facteurs déterminants de la participation sociale. Il n’est donc pas étonnant de constater que la présence d’enfants d’âge scolaire représente l’un des facteurs qui l’influencent le plus. Dans notre modèle, le fait d’être parent est le facteur ayant l’influence positive la plus stable sur la participation sociale. Que l’on contrôle ou non pour la scolarisation ou les réseaux sociaux de proches et de connaissances, être parent d’enfants d’âge scolaire semble de facto une condition qui mène à la participation bénévole de personnes qui, autrement, y seraient peu disposées (voir annexe 2). Le modèle appuie donc nos observations de statistiques descriptives.

Sachant que la sollicitation est un des facteurs qui influencent le plus la participation tant au Canada qu’aux États-Unis, nous pouvons penser que ces adultes participent davantage, car ils sont plus susceptibles d’être sollicités par les organisations entourant les loisirs et la scolarisation de leurs enfants. Nos enquêtes qualitatives nous montrent que les organismes fréquentés par les parents contribuent à une institutionnalisation de la trajectoire de participation sociale. Les CPE, les écoles et les organisations de loisirs des enfants sont même souvent la porte d’entrée de la trajectoire de participation. Ils sont le lieu d’apprentissage des contextes et des types d’interactions propres à la participation formelle (Gaudet, 2012).

La présence d’enfants d’âge scolaire représente une influence si importante sur la participation sociale formelle et informelle que l’on peut se demander si l’absence d’enfant ne constitue pas un facteur d’exclusion de la participation. En fait, les organisations que fréquentent les enfants deviennent non seulement des portes d’entrée pour la participation, mais elles incarnent également des espaces qui facilitent les liens avec la communauté locale, puisque les organismes de loisirs et les écoles sont généralement situés à proximité de la résidence familiale. Ces espaces sociaux représentent ainsi des déclencheurs pour les parents et leur permettent d’insérer des réseaux sociaux ou d’en créer autour de certaines affinités.

Le principe des vies en réseaux

Nous avons expliqué que les analyses qui s’inscrivent dans le paradigme des parcours de vie posent le principe des vies en réseau, c’est-à-dire que le parcours de vie s’articule à ceux des gens envers qui nous avons notamment des liens de grande proximité : les enfants, le conjoint, les parents, les grands amis. Il a été maintes fois démontré qu’une des premières raisons pour laquelle les gens participent formellement est qu’ils ont été sollicités ; très peu de gens offrent leurs services pour faire du bénévolat sans y avoir été invités. La densité, la taille et la diversité de leurs réseaux sont autant de caractéristiques qui influencent ainsi indirectement leur participation.

Tout comme Granovetter (1973) démontrait que les liens faibles étaient les plus importants pour accéder à certaines ressources et à des informations pour se trouver un emploi, ces mêmes liens faibles pourraient avoir la même influence sur les opportunités de participation. Parmi les répondants ayant les réseaux de connaissances les plus diversifiés, le taux de bénévolat régulier était de 39 %. Chez ceux ayant les réseaux les moins diversifiés, ce taux était pratiquement 6 fois moins élevé, soit de 7 % seulement (voir annexe 1). Le modèle de régression confirme l’importance de ce facteur puisque la diversité du réseau est le facteur le plus fortement corrélé à la participation sociale formelle[6] (voir annexe 2).

La taille des réseaux primaires et secondaires représente un autre facteur fortement corrélé à la participation formelle (voir annexe 2). Plus les gens comptent d’amis proches dans leur réseau primaire ou de connaissances dans leur réseau secondaire, plus ils sont susceptibles d’être des bénévoles réguliers. La même corrélation existe entre la taille du réseau et la participation informelle, mais l’influence est moins importante (voir annexe 3). On peut penser ici que la grande taille d’un réseau personnel accroît les opportunités de participation et que le fait de participer favorise aussi le développement de nouveaux liens.

Les organisations sont aussi une source importante d’opportunités pour faire du bénévolat. Les membres de ces organisations sont plus susceptibles d’être sollicités pour offrir du temps comme bénévole. Cela se reflète clairement dans les taux de participation : 30 % des personnes qui étaient membres ou participantes d’au moins un groupe, organisme ou association étaient des bénévoles régulières. En comparaison, c’était les cas de seulement 7 % de celles qui ne participaient pas à de tels groupes.

La participation formelle varie selon le type de groupe ou d’organisme auxquels les personnes appartenaient. Les plus fortes prévalences de participation sociale formelle (46 % de bénévoles réguliers) sont chez les membres d’un groupe scolaire, d’une association de quartier, d’une association de citoyens ou d’un groupe communautaire, tel qu’une association de parents-instituteurs ou d’élèves, de Parents-Secours ou de surveillance de quartier. Aussi, 45 % des membres d’un organisme religieux étaient des bénévoles réguliers. On compte également 36 % de bénévoles réguliers chez les membres d’un organisme sportif ou récréatif. Le modèle final indique qu’en tenant compte de tous les autres facteurs, la probabilité d’être un bénévole régulier était de 18 points de pourcentage plus élevée chez les membres et participants d’au moins un organisme ou un groupe (voir annexe 2). Évidemment, certains groupes comme Les Optimistes ou le Club Lions attirent des personnes plus susceptibles de faire du bénévolat et il est difficile de savoir dans quel sens va la relation.

L’appartenance à des groupes évolue en fonction des âges de la vie. Les plus jeunes sont plus susceptibles de s’impliquer dans les organismes sportifs ou récréatifs. Les plus vieux sont, quant à eux, plus susceptibles de s’impliquer dans 1) les organismes politiques ; 2) les groupes d’appartenance religieuse ; 3) les clubs sociaux ou les sociétés fraternelles, tels que le Club Kiwanis et les Chevaliers de Colomb. Aussi, plus l’âge augmente, plus les chances que l’organisme au sein duquel les personnes s’impliquent soit de nature religieuse. Ces préférences selon les âges de la vie peuvent quelquefois expliquer l’invisibilité des plus jeunes. Cette critique avait déjà été faite à l’égard des études de Putnam qui constatait une baisse de la participation chez les plus jeunes, mais qui observait davantage des organisations fréquentées par les plus vieux (Skocpol et Fiorina, 1999).

Dans toutes les enquêtes sur le bénévolat, la religiosité est associée positivement à la participation sociale formelle. La plupart des religions font la promotion de comportements altruistes et de l’entraide. Le modèle indique pourtant que les valeurs religieuses sont faiblement associées à la participation sociale. Même si les personnes qui se disent plus religieuses font plus de bénévolat, l’effet disparaît lorsqu’on tient compte d’autres facteurs, dont le fait d’assister à des services religieux toutes les semaines. C’est surtout la fréquentation hebdomadaire du lieu de culte qui est reliée au bénévolat. Ainsi, le milieu a peut-être davantage d’importance que les valeurs ou les croyances personnelles. La sollicitation, les coutumes d’un groupe et la pression des pairs sont autant d’effets du réseau sur les pratiques de participation sociale.

L’analyse des données de l’ESG 2008 nous permet de mieux cerner l’importance des effets du réseau et du contexte social sur la participation. Ces données sont originales, car les études antérieures faisant appel à des données canadiennes n’avaient pas tenu compte des caractéristiques du réseau sur la participation (celles-ci étant absentes des grandes bases de données sur la participation bénévole). De la même façon, les valeurs religieuses étaient traditionnellement associées à la participation sociale (Reed et Selbee, 2000) alors que nos données montrent que c’est peut-être davantage le réseau fréquenté dans le milieu de culte que les valeurs et croyances personnelles qui influencent les pratiques de participation.

De plus, le membership à des organisations semble toujours corrélé à une plus grande participation sociale. Cette information est très intéressante, car certaines analyses sur l’engagement social tendent à montrer la perte d’influence des organisations en raison des chutes du membership (Putnam, 2000 ; Ion, 2012). Les baisses d’adhésion aux organisations sont certes réelles, mais les organismes où l’on sollicite des bénévoles gardent encore une certaine importance pour les Canadiens qui participent socialement. Cette information est donc importante, puisque ce changement social nous conduit quelques fois à négliger l’importance de ces organisations. En considérant tous ces facteurs qui confirment le rôle crucial des réseaux sociaux relativement à la participation sociale formelle, on peut se demander comment les individus isolés socialement peuvent accéder à des lieux de participation sociale.

Influence des milieux de résidence

Il est important de comprendre la « géographie » des parcours de vie, puisque « les relations sociales sont inévitablement structurées par et au travers des lieux » (Veronis et Ray, 2013). Il ressort de nos données que le sentiment d’appartenance à une communauté, mais particulièrement à une communauté locale, influence la participation sociale. En maintenant constant tous les autres facteurs socio-économiques, incluant la taille des réseaux sociaux, les personnes avec un fort sentiment d’appartenance à leur communauté locale sont plus susceptibles d’être des bénévoles régulières, de s’occuper d’enfants qui ne vivent pas dans leur ménage et de rendre service à un voisin. Musick et Wilson (2008) expliquent que le sentiment d’appartenance encourage la réciprocité. Appartenir à un groupe implique d’une certaine façon le sentiment d’avoir reçu de celui-ci et d’avoir certaines obligations de réciprocité. La réciprocité s’installe dans une relation de confiance : la personne donne puisqu’elle a confiance de recevoir en retour même si elle ne sait pas quand et par qui s’établira le retour (Godbout, 2007). Il n’est donc pas étonnant de constater que, dans notre modèle, les gens qui font généralement confiance aux autres font du bénévolat. Or, ce sentiment de confiance se construit souvent à travers le temps et par les relations de coprésence dans une communauté locale (Morin et Rochefort, 1998).

Dans ses études sur les échanges non marchands, Reimer (2006) explique notamment que l’économie informelle ou l’entraide circule davantage dans de petites communautés locales, c’est-à-dire à l’extérieur des grands centres métropolitains canadiens. Il explique que, dans ces endroits, les normes de réciprocité sont plus importantes. « The relatively low mobility and social homogeneity of smaller places are likely to favour the emergence of these norms » (Reimer, 2006, p. 23).

Au-delà de la communauté locale, la province de résidence représente un espace géopolitique qui influence davantage la participation formelle que la participation informelle. Les données de l’ESG 2008, comme celles d’autres enquêtes sur la participation bénévole au Canada, indiquent que les Québécois sont moins susceptibles de participer que les résidents des autres provinces. Le régime providentiel de politiques publiques qui différencie le Québec des autres provinces canadiennes explique probablement cette différence, puisque le contrat social engage l’État à répondre aux droits sociaux plutôt qu’à solliciter la « générosité » des individus et des groupes. On peut penser que les motivations qui poussent les Québécois à s’engager bénévolement sont différentes de leurs homologues du Reste du Canada (ROC). La baisse de la pratique religieuse peut également expliquer ce phénomène, car la fréquentation des lieux de culte — comme mode de réseautage — est un élément fortement lié à la participation sociale formelle. Sans tenir compte des autres facteurs, la différence entre le Québec et le Reste du Canada, quant à la participation formelle, était de 11 points de pourcentage ; en maintenant constantes les autres variables explicatives, notamment la pratique religieuse, cet écart était réduit à 4 points seulement (voir annexe 2). Notons que les Québécois étaient plus susceptibles d’avoir fourni certains types d’aide informelle, comme s’occuper d’enfants ou d’un aîné sans rémunération.

Finalement, les résultats montrent que les immigrants sont un peu moins susceptibles d’être des bénévoles réguliers comparativement aux personnes nées au Canada (5 points de pourcentage de moins). Une partie de cet écart s’explique par le fait que ceux-ci sont moins susceptibles d’appartenir à des groupes ou des organisations (écart réduit à 3 points en tenant compte de ce facteur, annexe 3). Encore une fois, nous constatons à quel point le contexte social, celui des communautés locales et des réalités sociopolitiques provinciales ont des incidences sur les pratiques de participation sociale.

Inégalités des ressources et participation sociale

Nous savons déjà que l’âge est un facteur qui influence la participation sociale. L’autre facteur incontournable et identifié dans la littérature demeure la scolarité. Nos analyses nuancent cette association. L’influence sur la participation formelle demeure significative, mais diminue de façon relativement importante lorsqu’on tient compte de tous les facteurs simultanément lors de la régression.

Sans tenir compte des autres facteurs, les diplômés universitaires étaient 14 points de pourcentage plus susceptibles d’être des bénévoles réguliers que les personnes n’ayant pas obtenu leur diplôme d’études secondaires. Une partie de cet écart s’explique par le fait que les diplômés universitaires ont des réseaux plus étendus, qu’ils ont une meilleure santé, et expriment une plus grande confiance envers les autres. Quand on maintenait tous ces autres facteurs constants, tous reliés positivement à la participation bénévole, la différence entre les diplômés universitaires et les plus faiblement scolarisés était réduite à 11 points de pourcentage (voir annexe 2). C’est toutefois leur membership ou leur participation à des organisations qui permettaient de mieux comprendre leur forte participation formelle. Lorsqu’on tenait compte du fait de participer ou d’être membre ou non d’un organisme, l’écart entre les diplômés universitaires et ceux sans diplôme d’études secondaires chutaient à 7 points de pourcentage (voir annexe 3). D’autres facteurs corrélés à la scolarisation universitaire, qui ne sont pas mesurés dans l’enquête ou qui le sont imparfaitement, sont probablement à la source de cet écart persistant. Quoi qu’il en soit, la faible scolarisation, qui est une source d’exclusion d’un grand nombre de sphères de la vie sociale (travail, réseaux sociaux, pouvoir politique) semble aussi l’être en ce qui a trait à la participation sociale formelle.

Les ressources familiales, notamment celles des parents, représentent des facteurs d’influence importants sur la participation sociale. Le statut socio-économique des parents augmente par exemple la probabilité d’être un bénévole régulier. L’Enquête nationale sur le don, la participation et le bénévolat de 2010 (Statistique Canada, 2012) montre aussi que la socialisation familiale, soit le fait d’avoir eu un parent qui a fait du bénévolat, représente une des influences les plus importantes sur les pratiques de participation des individus. Une enquête qualitative que nous avons faite montre en fait que la participation au groupe appelle une compréhension des façons d’être et de faire, qui est difficile à saisir quand une socialisation au milieu n’a pas été faite (Gaudet, 2012). Aussi, le statut socio-économique des parents a une incidence sur la complétion d’études postsecondaires, un autre facteur fortement associé à la pratique de participation sociale formelle.

D’autres ressources, notamment les revenus, sont des éléments importants à considérer dans notre analyse. La participation bénévole implique généralement certains coûts financiers, notamment pour les déplacements qu’elle implique. Lorsqu’on maintient constants tous les autres facteurs, l’influence du revenu sur la participation formelle comme sur l’informelle disparaît complètement.

Ces résultats confirment d’une certaine façon l’importance du réseau social, familial et personnel comme éléments facilitant la participation sociale. Les individus qui proviennent d’une famille où le capital culturel est important et d’un milieu où la socialisation politique et sociale est présente seront plus enclins à participer. Ainsi, il est possible de poser l’hypothèse que les personnes exclues des pratiques de participation sociale soient celles qui sont moins scolarisées, peu incluses dans les groupes et peu susceptibles d’avoir vécu dans un milieu où la socialisation à la vie associative ou communautaire était présente. D’une certaine façon, les personnes présentant déjà des facteurs d’exclusion sociale causée par des inégalités seraient également exclues des pratiques de participation sociale tandis que la participation sociale pourrait renforcer l’inclusion des personnes ayant de forts capitaux culturels.

Conclusion

Au cours de cette analyse, nous avons examiné comment se structure l’inclusion à la participation sociale en fonction des âges de la vie. Plus nous vieillissons, plus nous participons. Les jeunes semblent très peu inscrits dans les pratiques de participation sociale, et ce, dans toutes les cohortes depuis les 20 dernières années. Nos données ne permettent malheureusement pas d’expliquer pourquoi les personnes plus âgées participent, cette interrogation guidera nos prochaines analyses statistiques.

Peu importe l’âge, il demeure que des facteurs d’inégalités sociales sont constants. En contrôlant pour plusieurs variables, il ressort que les relations sociales (réseau, membership à des organisations, fréquentations des lieux de culte) sont plus influentes que des caractéristiques individuelles identifiées dans la documentation, telles que la scolarité ou le revenu. D’abord, nous constatons que ce sont les personnes avec des réseaux de grande taille et diversifiés qui possèdent déjà des capitaux sociaux importants, comme une scolarisation élevée, qui participent davantage. Nous pouvons penser que cette participation sociale consolide ou augmente fort probablement leur inclusion sociale et leur capital social. Ils sont plus nombreux à consacrer du temps à des organisations, à les influencer et à comprendre les normes d’interaction qui y prévalent. On peut penser qu’ils peuvent déjà compter sur un réseau personnel où circule l’entraide. À l’inverse, les personnes déjà « à risque » d’exclusion sociale comme les jeunes, les chômeurs et les immigrants, les personnes faiblement scolarisées et celles ayant des réseaux de petite taille sont plus susceptibles d’être exclues des pratiques de participation sociale formelle et informelle. Elles ont moins d’opportunités pour fabriquer leur citoyenneté sociale et prendre part au vivre-ensemble. Dans un contexte politique où la démocratie participative appelle davantage la participation individuelle, ces facteurs d’inégalités et d’exclusion doivent être pris en compte pour ne pas les accentuer.

Dans le contexte d’« injonctions » à la participation propre au nouveau management public et dans celui de la réflexion sur la démocratie participative, il nous paraît pertinent de comprendre les catégories de personnes susceptibles de vivre des inégalités de traitement et d’opportunité permettant l’accès à différentes formes de participation. Très peu d’études se sont intéressées à la participation sociale sous cet angle. Pourtant, la participation sociale formelle et informelle est intimement liée à l’inclusion sociale et présente donc un phénomène important pour comprendre la fabrication de la citoyenneté (Gagné et Neveu, 2011).

Évidemment, nos enquêtes et notre analyse ne tiennent pas compte des motivations des individus à participer. Nous avons fait le pari d’observer les facteurs structurant le temps qui circule librement et gratuitement selon les normes de réciprocité et de confiance. La confiance aux autres et l’appartenance à un groupe demeurent des caractéristiques importantes des personnes qui participent même si elles peuvent aussi avoir de « bonnes raisons » de le faire.

Dans cet article, notre centre d’attention portait à la fois sur les milieux de vie (réseaux, lieu de résidence, appartenance à des groupes) et les âges de la vie, puisqu’ils y sont intimement associés. Les données transversales avec lesquelles nous avons travaillé ne nous permettent pas de comprendre la dynamique de ces facteurs à travers le temps. Le paradigme explicatif des parcours de vie nous permet d’interpréter ces résultats, puisque le principe des scripts sociaux (des rôles associés à certains âges), mais aussi celui des vies en réseaux permettent d’interpréter nos données transversales.

Au cours de la vie, il y a aussi des points de rupture : la maladie, le divorce, la perte d’emploi, le décès d’un membre de la famille qui perturbent les parcours, fragmentent les réseaux et créent de l’isolement social. Ces événements imprévisibles, mais combien déterminants dans un parcours de vie, sont absents de notre modèle statistique, mais on peut penser qu’il explique plusieurs formes d’exclusion sociale et « invisibilise » certaines personnes que l’on ne sollicite pas pour participer formellement ou informellement. Cette réflexion fera l’objet de nos prochaines analyses à partir de données qualitatives.